Jean Démosthène Dugourc
Versailles 1740 – Paris 1825
- Le Réveil du maréchal de Catinat
- Officiers présentés au maréchal de Catinat
Plume et encre grise, lavis gris, sur traces de crayon. Monogrammé et daté 1776 en bas à droite (1) et en bas à gauche (2).
175 x 360 mm
Provenance : Paris, Hôtel Drouot, Me Desvouges, 3 mai 1913, n° 49 (pour le “Réveil du maréchal de Catinat”) ; Collection A. Trezel ; Vente anonyme ; Paris, Hôtel Drouot, Tajan, 29 mars 2000, n° 74 ; Paris, Artcurial, 16 juin 2020, n°48.
Bibliographie : Sous la dir. d’Emmanuelle Brugerolles, De l’alcôve aux barricades, Beaux-arts de Paris éditions, 2016, p. 166, ill. 1.
Encore mal étudié aujourd’hui, Jean Démosthène Dugourg fut en son temps une véritable célébrité, à la carrière féconde et riche en événements. Son père étant contrôleur de la maison du duc d’Orléans, il grandit auprès du duc de Chartres et bénéficia comme lui d’une éducation poussée. En 1764, peu de temps après les spectaculaires découvertes archéologiques d’Herculanum et de Pompeï, il fut emmené à Rome par le comte de Cani. À son retour à Paris, il travailla quelque temps avec l’inspecteur général de l’artillerie, monsieur de Gribeauval qui, nous dit Anatole de Montaiglon, « l’associat à ses travaux militaires dans son Gouvernement de Valenciennes, servant le corps Royal du Génie.[1] » Mais il ne garda pas longtemps cette fonction d’ingénieur militaire et, s’associant à son beau-frère Joseph Belanger, il participa aux décors de Bagatelle, Saint-Germain et Maisons. Nommé dessinateur de la chambre et du cabinet de Monsieur en 1780, il se spécialisa dans les décors de théâtre en France et en Europe. Ses décors et maquettes pour le théâtre de Brunoy connurent un grand succès et c’est à lui que fit appel le roi de Suède en 1781 pour élaborer décors et habits des six premiers opéras du théâtre nouvellement construit à Stockholm. Il devint l’incontournable créateur de toute folie, pavillon, ou demeure des Princes, courtisé par les financiers et amateurs qui convoitaient son travail. Les souverains étrangers – Paul IV, Catherine II, Charles IV d’Espagne – s’efforcèrent tour à tour de l’attirer chez eux mais n’obtinrent la plupart du temps que des projets dessinés. Nommé directeur des décors et des costumes de l’Opéra en 1783, il devint ensuite intendant des bâtiments de Monsieur et dessinateur du Garde-Meuble de la Couronne en 1784. Pendant la Révolution, il créa des manufactures de papier peint, de cartes à jouer et de porcelaine. En 1799, il devint Premier architecte du roi d’Espagne. Rentré à Paris sous la Restauration, il récupéra sa charge au Garde-Meuble en 1816 et l’occupa jusqu’à sa mort. C’est lui qui réalisa la salle du trône aux Tuileries.
Ces deux belles feuilles traitent d’épisodes de la vie du maréchal Nicolas de Catinat, remarquable chef militaire du XVIIe siècle dont la biographie Mémoire pour servir à la vie de Nicolas de Catinat, écrite par le marquis de Créquy en 1772, fut réimprimée en 1774 et 1775. L’éloge de sa vie fut le sujet du prix de l’année 1775 à l’Académie française. Une dizaine de textes retraçant les événements marquants de sa vie virent le jour. Datés de 1776, nos deux dessins s’inscrivent donc dans ce regain d’intérêt pour la vie du maréchal.
Dans la première feuille portant le titre inscrit Réveil du maréchal de Catinat, l’artiste reprend un épisode du lendemain de la victoire de La Marsaille, le 5 octobre 1693, s’inspirant précisément du récit du comte J. A. H. de Guibert, dont il reprend les éléments : le maréchal a passé la nuit dehors et trouve à son réveil les drapeaux, trophées et autres gages de victoire assemblés autour de lui par les gendarmes qui l’acclament. Un second dessin, postérieur d’un an et plus détaillé, est conservée à l’École des Beaux-arts de Paris (Inv. PM 2561), est d’ailleurs annoté par l’artiste d’extraits du récit de Guibert. Il s’agit probablement du projet final pour une gravure, peut-être pour illustrer l’un de ces éloges. Notre dessin en est une esquisse libre, légère, signée de l’élégant monogramme que l’on retrouve sur plusieurs des feuilles de l’artiste.
Le second épisode est plus difficile à identifier : il représente le maréchal à cheval, entouré d’une foule d’officiers et de soldats, dont certains sont blessés et à terre. Le titre inscrit sur le montage est Officiers, présentez au Maréchal de Catinat. Rien ne concorde exactement dans le récit de Guibert avec ce titre qui semble être un ordre militaire. Il s’agit peut-être des suites de la victoire de Catinat contre le duc de Savoie à Saluces, relaté ainsi par Guibert : « son premier soin après cette action fut d’aller visiter les blessés et remercier les troupes des services qu’elles avaient rendus. Les Régiments sortaient de le leurs tentes et l’entouraient d’abord avec de grands cris, pour témoigner leur joie, ensuite avec un profond silence, pour recueillir ses paroles. » Il pourrait également s’agir de la victoire de la Marsaille, dont l’auteur nous dit : « Rappelons-nous de ces détails sur des tableaux bien honorables pour Catinat. (…) De simples soldats l’appelaient pour être consolés par ses paroles (…) représentez-vous Catinat au milieu des victimes glorieuses de cette journée ! Ils se soulèvent sur leurs blessures ; ils suspendent leurs cris ; chacun veut qu’il l’aperçoive, aucun ne lui redemande le sang qu’il a répandu… »
S’agissait-il d’une série en l’honneur du maréchal ? Ou de deux projets pour une illustration, dont seul le sujet du réveil fut retenu, sans doute parce que plus précis ? La fin des années 1760 et la décennie 1770 virent l’éclosion de projets historicistes, début d’une mode qui allait continuer dans les années 1780, jusqu’à ce que la Révolution mette un frein à la glorification du passé monarchiste. Dans leurs montages d’origine et leurs superbes cadres Louis XVI, ces deux œuvres de Jean Démosthène Dugourc, sont deux exemples particulièrement représentatifs de cette tendance, ainsi que des talents de dessinateur de l’artiste.
[1] « Nouvelles Archives de l’Art français » (1877, p. 367 à 371).
