La Normandie romantique de Jean Antoine Théodore Gudin

Annonçant un carton d’avril qui sera entièrement consacré aux huiles sur papier, le focus du mois nous emmène sur la côte d’Albâtre prendre un air marin bienvenu en ces temps confinés.


« J’avais toujours eu le désir d’être peintre ou marin »

écrivait Théodore Gudin au début de ses mémoires (Souvenirs du baron Gudin, peintre de la marine (1820-1870), publiés par Edmond Béraud, Paris, Plon, 1921). Le destin lui accorda d’être les deux, marin, puis peintre, une chance sans doute puisque, de son propre aveu, « pour peindre la mer, il faut avoir navigué » (p. 34).

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Théodore Gudin

(Paris 1802 – Boulogne-sur-Seine 1880)

Falaises de la côte d’Albâtre

Huile sur papier marouflé sur toile, signée et datée t. Gudin sept. 1861 en bas à gauche

Numéroté 152 sur le châssis

370 x 505 mm – 14 9/16 x 19 7/8 in.


Comme son frère Louis, Théodore montra à un âge tendre des prédispositions pour le dessin, mais leur mère, veuve d’un général d’empire, ne pouvait assurer des études artistiques aux deux. Louis ayant embrassé la carrière de peintre, Théodore choisit donc d’embarquer pour trois ans sur un brick américain, Le Manchester. Après avoir connu le général Lallemand et Jérôme Bonaparte à New York, participé à la dure pêche à la morue à Terre Neuve puis échappé à la fièvre jaune, il rentra en France et rejoignit l’atelier de Girodet. Il passa ensuite dans l’atelier de Gros, puis « crut devoir abandonner les traditions classiques pour s’enrôler parmi les Romantiques » (p. 33). Médaillé d’or dès sa deuxième apparition au Salon en 1824 et unanimement applaudi pour son Incendie du Kent au Salon de 1827 qui lui valut la Légion d’honneur, le « jeune homme simple, silencieux, insouciant en apparence, de l’attention dont il est justement l’objet » selon les mots de Cuvillier-Fleury, se fraya tranquillement un chemin vers les plus grands succès artistiques et mondains (Journal intime de Cuvillier-Fleury, la famille d’Orléans au Palais-Royal, 1828-1831, Paris, Plon-Nourrit, 1900-1903, t. I, p. 5).

Devenu le premier peintre officiel de la marine, il participa à l’expédition d’Alger en 1830.  Sous la Monarchie de Juillet, en 1844, Louis-Philippe lui commanda l’illustration de l’histoire navale de la France en 97 tableaux pour le musée de l’histoire de France à Versailles. Intégrant les cercles aristocratiques européens les plus influents, nommé baron par Louis Philippe, il fut ensuite amené à poursuivre des missions diplomatiques officieuses, aux Pays-Bas, en Russie et en Allemagne. Il continua à exceller dans la peinture de marines, paysages, scènes navales ou naufrages, ce qui lui valut d’être comparé par la critique à Joseph Vernet ou à Claude Lorrain. Mais son succès mondain lui attira une certaine méfiance de la part du monde artistique qui n’appréciait plus sa peinture de la même façon, jugeant peut-être le succès de sa carrière trop facilement obtenu au moyen de ses appuis.

Pourtant sa belle exécution, son observation poussée de la mer et sa sensibilité à la fois romantique et silencieuse sont remarquables et particulièrement perceptibles dans ses petites études, à l’image de celle-ci, dont la spontanéité ne le cède en rien à la maîtrise technique. La Normandie exerça une forte attraction sur Gudin, comme sur Isabey, Bonington, Delacroix et Paul Huet. Ses côtes sauvages, son climat violent et sa luminosité contrastée aussi bien que la force et à la rudesse des caractères qui y furent observés par les écrivains, Maupassant le premier, nourrirent le goût du pittoresque des peintres de la génération romantique. Dans ses Souvenirs, Gudin évoque à plusieurs reprises ses séjours en compagnie de la duchesse de Berry à Dieppe dans les environs, région dont il avait fait « son séjour de prédilection » (p. 42). Dans cette ravissante huile sur papier, peinte sur le motif, Gudin capture avec talent la douceur de la lumière matinale, rosée dans le creux des vagues et sur la crête des nuages, tirant vers le jaune dans les remous crayeux de la mer, bleutée sur les falaises battues par les embruns. Le savant équilibre entre les tonalités chaudes, roses, orangées, jaunes, et les tonalités froides du bleu, lui permet de transcrire à merveille l’atmosphère fraiche et humide d’un matin d’été sous les falaises normandes. Au loin le détail pittoresque d’un petit bateau à vapeur dont la traînée de fumée se disperse dans le ciel évoque les transports maritimes entre l’Angleterre et la France, nombreux et essentiels à l’époque et souvent évoqué par la littérature romantique, particulièrement par Victor Hugo.