85 dessins issus de l’atelier de Jules Machard (Sampans 1839 – Meudon, 1900)
Ayant acquis une certaine renommée grâce à ses portraits féminins, Jules Machard savourait la naissance d’une notoriété grandissante dans le milieu parisien dès les années 1875. Marcel Proust dans Du côté de chez Swann évoque ce succès dans le dialogue échangé entre Madame Cottard et Swann : « Je ne vous demande pas, Monsieur, si un homme dans le mouvement comme vous a vu, aux Mirlitons, le portrait de Machard qui fait courir tout Paris. Eh bien, qu’en dites-vous ? Êtes-vous dans le camp de ceux qui approuvent ou de ceux qui blâment ? Dans tous les salons, on ne parle que du portrait de Machard ; on n’est pas chic, on n’est pas pur, on n’est pas dans le train, si on ne donne pas son opinion sur le portrait de Machard. »[1]
Né à Sampans dans le Jura, près de Dole, en 1839, Jules Machard, issu d’un milieu modeste, est destiné par son père aux Ponts et Chaussées dès l’âge de dix-sept ans. Il se rend, quelque temps, à Lyon comme « dessinateur » pour l’administration des chemins de fer, puis comme « agent des ponts et chaussées ». De retour à Besançon où sa famille s’est installée, il débute sa carrière artistique dans l’atelier du peintre Édouard Baille (1814-1888) qui lui transmet les leçons académiques de l’école de David. En 1861, il obtient une pension et part pour Paris se présenter à l’école des Beaux-Arts, haut lieu de l’art de l’époque. Fréquentant les ateliers des peintres Édouard Picot (1786-1868) et Émile Signol (1804-1892), il perfectionne sa technique en préparant les différents concours des Beaux-Arts. En 1863, il expose deux portraits d’hommes au Salon et, dès 1864, présente une esquisse à la première épreuve du prix de Rome. En dépit d’un certain succès, la maladie l’empêche d’aller plus loin cette année-là. Il devient lauréat l’année suivante avec une peinture représentant Orphée descendu aux enfers demander Eurydice (Paris, Ecole Supérieure des Beaux-Arts, inv. PRP 116).
En janvier 1866, Jules Machard se rend en Italie où il rejoint cette pépinière de jeunes talents que constitue l’Académie de France à Rome. Son premier envoi de 1867, le Cadavre du dernier fils de Frédégonde retrouvé par un pêcheur, est acheté par Louis Pasteur malgré un accueil très mitigé de l’administration des Beaux-Arts. Durant son séjour à la villa Médicis, il exécute de nombreux portraits -domaine qu’il commence à apprécier- qui le rendent très populaire et lui permettent de gagner un peu d’argent. La découverte des maîtres coloristes vénitiens -Titien, Véronèse et Tintoret- marque également ses œuvres par l’influence de leur palette chromatique. En 1869, il envoie deux toiles à l’École des Beaux-Arts de Paris dont sa fameuse Angélique attachée au rocher[2] (fig. 1, cf. ma034, ma158) qui obtint un « très grand succès dans les comptes-rendus de la presse et du public »[3]. Le peintre se consacre au nu, développant souvent des poses lascives exécutées dans une technique minutieuse. Il est guidé par une idée de simplicité grandiose et un idéal de pureté inspiré de l’art antique et notamment de l’art grec.
En 1870, il présente une composition illustrant La Mort de Méduse[4] (fig. 2, cf. ma082) puis, l’année suivante, Narcisse et la Source[5] (fig. 3). En 1874, il peint Séléné[6], personnification de la Lune, qui remporte un accueil très positif, servant de modèle pour une tapisserie de la manufacture des Gobelins[7].
De retour à Paris, Jules Machard est déjà très connu pour ses tableaux de Salon et ses portraits sont très prisés. On pense que Machard a pu réaliser plus de trois cents portraits au cours de toute sa carrière (cf. ma009, ma038, ma110, ma111, ma194). En 1875, il épouse Ernestine Louise Marie Aléo, d’origine cubaine, qui fut souvent son modèle (Portrait de madame Jules Machard[8] (fig. 4, cf. ma008).
C’est la même année que le marquis de Chennevières, directeur des Beaux‑Arts, lui commande quatre panneaux illustrant la vie de la Vierge destinés à l’église Notre-Dame de la Croix sur la colline de Ménilmontant. Jules Machard ne réalise que la Visitation et leStabat Mater (fig. 5 et 6, cf. ma128, ma129, ma130, ma136, ma137, ma146, ma174, ma188) dans l’impossibilité de poursuivre en raison de problèmes de santé.
Les deux autres toiles -l’Annonciation et la Visitation– seront achevées par l’un de ses confrères, Alphonse Monchablon (1835-1907). Ces œuvres demeurent de rares exemples de peintures religieuses dans le corpus de l’artiste avec une Inspiration de sainte Cécile[9] (fig. 7, cf. ma005, ma006, ma075, ma076) achevée en 1878. Il s’essaye également à la peinture décorative et notamment des peintures de plafond telles celles exécutées à Londres au Castel de Montagu House (Psyché emportée par Zéphyr et Psyché rendue à l’Amour en 1876 puis Le Passage de Vénus en 1877) pour le duc et la duchesse de Buccleugh (cf. ma040, ma104, ma105, ma106, ma107, ma126, ma139, ma141, ma142, ma143, ma144, ma145, ma147, ma150, ma173, ma176, ma177, ma186, ma189, ma196). Il consacre les dernières années de sa vie à peindre des portraits. Il s’éteint des suites d’une maladie en septembre 1900 à Meudon.
Jules Machard, que l’on a longtemps classé dans la catégorie des peintres pompiers, a probablement souffert d’un manque de confiance et de volonté qui lui ont fait sacrifier son talent sur l’autel des portraits mondains. Peut-être celui-ci n’égale-t-il pas celui d’un Bouguereau, d’un Gérome, d’un Gervex ou d’un Carolus-Duran, néanmoins ses dessins témoignent souvent d’une grande liberté et même virtuosité. La connaissance que nous avons de ce peintre s’est beaucoup enrichie grâce à la rétrospective de Dole en 2003 et au très intéressant catalogue rédigé par Virginie Frelin et Elisabeth Coulon[10]. Le titre Jules Machard et le culte de la ligne illustre parfaitement le talent de l’artiste en tant que dessinateur ayant multiplié les études de putti et de femmes aux expressions gracieuses alliant charme et délicatesse dans une ligne ondulante (cf. ma131, ma140, ma145, ma171, ma172, ma191) Durant ses « années italiennes », ses cartons de dessins sont remplis d’études d’après nature, d’après l’antique, d’après les grands maîtres, reprenant tous les modes d’interprétation : la plume, le crayon noir, le pastel, la sanguine, l’aquarelle, de croquis en croquis (…)[11]. Qualifié de dessinateur académique et « pompier », Jules Machard se révèle également dans des compositions plus complexes, mêlant rapidité et vigueur du trait : ses meilleurs morceaux sont ceux où l’emportement du crayon ou de la plume donne vie à une esquisse tourbillonnante, confuse en apparence, mais où la main s’affirme enfin et donne puissance et émotion au dessin[12]. Il reste encore, toutefois des périodes et des zones de la personnalité de Machard à explorer. Que penser, par exemple, de ses nombreux dessins (cf. ma015, ma018, ma019, ma041, ma042, ma057, ma058, ma059, ma061, ma062, ma063, ma125) qui ne correspondent à aucune composition picturale connue, que l’on suppose dater des dernières années de sa vie, réunissant d’une manière systématique les figures de l’Amour et de la Mort ?
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[1] Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1ère édition 1913, Gallimard, 1946, p. 210.
[2] Dole, Musée des Beaux-Arts, inv. 78.
[3] Victor Guillemin, « Notice sur le peintre Jules Machard, associé correspondant franc-comtois », Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Besançon, 1901, p. LIII.
[4] Besançon, Musée des Beaux-Arts, inv. D.874.1.1.
[5] Chartres, Musée des Beaux-Arts, inv. 3811.
[6] Aujourd’hui conservée à Tainan, musée Chimei.
[7] Tissée entre 1874 et 1878, conservée à la Manufacture des Gobelins, Inv. GOB-112-000.
[8] Arras, musée des Beaux-arts, inv. D. 929.1.
[9] Esquisse du tableau présenté au Salon de 1878, Le Mans, musée de Tessé, inv. 10.1172.
[10] Virginie Frelin et Elisabeth Coulon, Jules Machard, le culte de la ligne, catalogue d’exposition, 4 avril au 15 juin 2003, Musée des Beaux-Arts de Dole.
[11] Charles Baille, Le peintre Jules Machard (1839-1900), Imprimerie Abel Cariage, Besançon, 1900, p. 10.
[12] Virginie Frelin, op. cit, p. 133.