Souvenir pittoresque du Mont-Blanc par le général d’Empire Bacler d’Albe
Pour commémorer à notre manière l’année Napoléon, nous vous présentons, dans le focus de ce mois de juin, une gouache réalisée par un illustre général de l’Empereur, Louis-Albert-Guislain Bacler d’Albe, qui fut à la fois baron, militaire, géographe et dessinateur.
Louis-Albert-Guislain Bacler d’Albe
Saint Pol, 1761 – Sèvres, 1824
Rencontre de chasseurs devant la grotte du Bonnant
Gouache
Signé et daté Ber. Dalbe. 1795. en bas.
370 x 520 mm
Provenance – Paris, étude Morand, 25 novembre 2013, n° 13.
Célèbre général napoléonien
La carrière miliaire de Louis-Albert Guislain Bacler d’Albe démarre, dès 1793, lorsqu’il s’engage dans l’armée révolutionnaire et rencontre Bonaparte, artilleur comme lui, lors du siège de Toulon. Devenu officier, il est affecté l’année suivante dans l’armée d’Italie et nommé cartographe officiel. Le futur empereur suit son travail et lui commande, en 1796, des plans de la côte de Nice à Savone. Il participe à plusieurs campagnes dont, notamment, la bataille d’Arcole. Le général décide alors d’utiliser ses talents de dessinateur pour sa propagande en lui demandant de réaliser des portraits et des scènes de combats. Il réalise notamment des peintures de scènes de batailles dont plusieurs sont conservées au musée du Louvre telles la Bataille d’Arcole, 17 novembre 1796 (inv. 2397), la Bataille de Rivoli, 14 janvier 1797 (inv. 2398) et Napoléon visitant les bivouacs de l’armée française à la veille de la bataille d’Austerlitz, 1er décembre 1805 (inv. 2399)[1]. Bacler d’Albe entre au service personnel de Bonaparte, en 1799, date à laquelle son rôle se révèle de tout premier plan et devient, en 1804, chef du bureau topographique. Durant les campagnes, il partage la tente de Napoléon, avec lequel il travaille étroitement tant pour l’élaboration de ses cartes que pour la stratégie militaire : « il couchait dans sa tente avec son matériel et préparait les cartes qu’il avait lui-même coloriées, marquait avec des épingles de couleur les positions des corps d’armée, calculait les distances au compas, figurait les reliefs du terrain pour les plans de manœuvres de l’Empereur, conseillait sur les moyens d’attaque … »[2]. Considéré comme l’un des meilleurs cartographes de son temps, il a perfectionné la représentation du relief par jeux d’ombre. Il réalise notamment la première carte complète de toute l’Italie (1797-1802) intitulée Carte du Théâtre des campagnes de Bonaparte en Italie, puis la première carte homogène de l’Europe dite « carte de l’Empereur » (1809-1812). « La plupart des graveurs attachés au bureau de la guerre doivent leur réputation et leur talent aux soins de notre illustre Artésien ! »[3].
Jeune dessinateur à succès
Avant d’accéder à ses brillantes fonctions militaires, Bacler d’Albe, né en 1761 en Artois, s’installe en 1785 à Sallanches, dans la région du Mont-Blanc, s’occupant à dessiner les sites merveilleux qui s’offraient à sa vue. Enthousiasmé par la beauté des Alpes, il y demeure sept ans : « Conduit par la passion de la peinture sur les sommités des montagnes, il saisit l’enchaînement et les ramifications de ces masses agglomérées et devint en même temps peintre et géographe »[4]. L’artiste s’affirme un témoin privilégié de l’évolution des vallées de Chamonix, Saint Gervais et Sallanches, entre la fin du XVIIIe et du XIXe siècle, alors qu’elles connaissent une révolution touristique grâce à la notoriété du Mont Blanc et de sa première ascension, en 1786, par Michel Gabriel Paccard et Jacques Balmat (dont il réalisa les portraits). Durant cette période, il exécute de nombreuses vues de la Région, très appréciées du public : « Entre 1780 et 1800, celui qui vend le plus, en Savoie et en Suisse, c’est Bacler d’Albe, sans cesse en excursion pour prendre de nouvelles vues dans les environs du pays, sans cesse visité par les voyageurs illustres »[5]. Il publie notamment 48 planches enluminées, entre 1788 et 1790, de paysages du Haut-Faucigny et du Mont-Blanc[6].
Souvenir d’un lieu
Cette délicate gouache, exécutée en 1795, à la fin de son séjour en Haute-Savoie, présente l’intérieur d’une grotte creusée dans le massif montagneux, à l’entrée de laquelle deux chasseurs accompagnés de leurs chiens font une halte. La composition se rapproche d’une lithographie titrée Grotte de Bonnant Vallée de St Gervais, Mont Blanc (fig. 1), gravée par Engelmann d’après un dessin de Bacler D’albe pour l’ouvrage Souvenirs pittoresques du général Bacler d’Albe, publié en 1818[7]. Prise sous un angle légèrement décalé, la cavité rocheuse s’ouvre sur un paysage montagneux d’où surgissent deux chasseurs poursuivant un renard. La succession de plans guidant le regard du spectateur jusqu’aux collines à l’arrière-plan, le traitement pittoresque des roches, la poésie se dégageant du site sont empreints du goût préromantique.
La grotte du Bonnant, qui n’existe plus aujourd’hui en raison des modifications du relief dues à l’érosion et aux intempéries, devait se trouver le long du torrent, le Bon-Nant, affluent de rive gauche qui coule dans le Val Montjoie aux Contamines et conflue à Saint-Gervais en Haute-Savoie. Cet endroit était un lieu de passage pour les voyageurs qui franchissaient les cols du Joly, du Bonhomme et de la Seigne. A l’arrière-plan, on aperçoit la silhouette de montagnes se découpant sur le ciel bleu qui pourraient être une évocation des aiguilles de Warens, visibles de la vallée de Sallanches et de Saint-Gervais.
Renommée
À la chute de l’Empire, Bacler d’Albe popularise la lithographie en exécutant des centaines de gravures à partir de ses dessins rapportés des campagnes menées en Europe entre 1793 et 1814. Il crée, alors, un groupement artistique à Sèvres pour lancer cette nouvelle vogue auprès du public et publie des recueils qui consolident sa célébrité : Souvenirs pittoresques ou Vues lithographiées de Suisse, du Valais en 1810, Promenades pittoresques dans Paris et les environs en 1822 et Souvenirs pittoresques de la campagne d’Espagne en 1824.
[1] Ses paysages et tableaux de bataille sont nombreux le plaçant aux cotés des artistes tels que Gros, Lejeune, Bagetti et Carle Vernet.
[2] Jacques Jourquin dans Dictionnaire Napoléon, sous la direction de Jean Tulard, Paris, Fayard, 1987.
[3] Mémoire de l’académie d’Arras, société royale des sciences, des lettres et des arts, Séance publique du 25 août 1835, Arras, chez Jean Degeorge, imprimeur, 1836, p. 177.
[4] Idem., p. 175.
[5] John Grand-Carteret, La Montagne à travers les âges, Librairie Dauphinoise, Grenoble, 1903, p. 452.
[6] Tableaux du haut Faucigny dédiés à son Altesse Royale Monseigneur le Prince de Piémont par A. Bacler d’Albe, à Sallanches, chez l’auteur. Le British Museum possède une brochure contenant six vues de Sallanches avec une page de titre dédicacée au prince de Piémont (inv. 1958,0712.3080.1-6) dont une Vue de l’entrée de la Caverne de Balme.
[7] Exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale suisse de Berne (cote Kaf CH 82 Res). À la chute de l’Empire, Bacler d’Albe retourne à Sallanches et publie, à partir d’anciens dessins et croquis de paysage, un album de lithographies, gravées par Engelmann.