Projet pour le Frontispice de la Biblia Sacra de Cristoforo Zane par Giambattista Tiepolo
Giambattista Tiepolo
Venise, 1696 – Madrid, 1770
Projet pour le Frontispice de la Biblia Sacra de Cristoforo Zane
Pierre noire et lavis d’encre brune
210 x 145 mm – 8 1/4 x 5 11/16 in.
Nous remercions Bernard Aïkema d’avoir confirmé, après examen de la feuille, l’attribution de ce projet de frontispice à Giambattista Tiepolo et propose de le dater autour de 1727-1729.
Giambattista Tiepolo, célèbre peintre vénitien du XVIIIe siècle, réputé pour ses tableaux et fresques ornant les palais et églises de la Sérénissime et ses alentours, se consacra également à l’illustration de livres religieux et historiques au début de sa carrière. Il exécuta, à la demande d’éditeurs[1] des dessins préparatoires qu’il confiait ensuite à des graveurs, en particulier à Andrea Zucchi (1679-1740) et son frère Francesco (1692-1764)[2]. Le spécialiste Bernard Aikema a souligné l’importance de cette activité d’illustrateur, entre 1720 et 1739, en répertoriant la liste des dessins de l’artiste vénitien en rapport avec des gravures. Giambattista réalisa notamment des dessins pour les vignettes en présentation de textes historiques pour Rerum Italicarum Scriptores de Ludovico Antonio Muratori (25 volumes entre 1723 et 1751)[3]. La plus grande partie des dessins préparatoires, conservés aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York, ont été exécutés à la pierre noire dans un format respectant les gravures finales, à l’exception de la feuille conservée à Amsterdam (Fig. 1) réalisée dans une autre technique -à la plume et encre brune- pour le Frontispice du volume XII[4], Allégorie Allégorie de la Paix et la Justice rendant hommage au lion de Saint-Marc[5] (Fig. 2). Cette collaboration avec les frères Zucchi a démarré au début de la carrière de l’artiste et s’est prolongée au moins jusqu’en 1741, date à laquelle il participe avec Francesco au Missale Romanum édité par Poleti. De 1730, date le frontispice de Saint Luc et l’Allégorie de la Justice et de la Prudence[6] pour Divinus Paulus apostolus in mari, quod nunc Venetus sinus dicitur naufragus d’Ignatio Georgio édité par Cristoforo Zane et, de 1740, la vignette pour le frontispice de Historia Congregationum de Auxiliis Divinae Gratiae de Jacques-Hyacinthe Serry[7].
Notre feuille inédite (fig. 3) est préparatoire à un Frontispice[8] (Fig. 4) illustrant la Biblia Sacra Vulgatae Editionis, Sixti V. Pontificis Max. Jussu Recognita, et Clementis VIII. Auctoritate edita publiée par Cristoforo Zane en 1730[9]. Sur la marge inférieure gauche de l’estampe, l’inscription Frco Zucchi S. indique que l’œuvre a été gravée par l’artiste Francesco Zucchi : le S. après son nom signifiant « sculpsit » pour graveur, précisant ainsi qu’il n’est pas l’inventeur du motif. Le sujet évoque les allégories de l’Église catholique romaine et de la Loi judaïque. À gauche, une jeune femme couronnée d’un diadème papal soutenant la croix et présentant un calice et l’Ostie sacrée, symbolise la Nouvelle Religion (Nouveau Testament) tandis qu’à droite, une vieille femme coiffée d’une corne portant l’encensoir, les tables des préceptes divins et le bâton miraculeux incarne le Judaïsme (Ancien testament). Au centre, la bible ouverte est soutenue par les quatre évangélistes et consacrée par les rayons de lumière émanant de la colombe du Saint-Esprit.
Dans son étude à la plume et au lavis, Giambattista trace d’un trait vibrant les personnages, modelant leur forme et les campant avec une gravité majestueuse. Il laisse en réserve certains éléments -la bible ouverte, le globe terrestre et la table des Lois- qui seront complétés par Francesco Zucchi dans la gravure. Les clefs de l’Église et le chrisme, dans un soleil sur la poitrine du Nouveau Testament, irradiant de ses rayons la terre seront également ajoutés dans la composition finale.
Pour réaliser son projet, Giambattista Tiepolo s’est largement inspiré d’un Frontispice pour le même ouvrage publié dès 1645 à Anvers[10] puis à Venise entre 1669 et 1727[11]. Tiepolo devait sans doute posséder un exemplaire de la Biblia Sacra avec la gravure en contrepartie du Frontispice (Fig. 5) exécutée par la graveuse vénitienne Sœur Isabella Piccini[12] pour les éditions de Nicolaum Pezzana. En effet, on retrouve les mêmes figures allégoriques dans des positions presque identiques. Tiepolo a modifié le cadrage, resserrant la scène par le remplacement du piédestal avec les objets symboliques des deux lois -la Fontaine de vie des Chrétiens et le Candélabre à sept branches des Hébreux- par une petite estrade. Il a déplacé les emblèmes des Évangélistes : l’aigle de Saint Jean posant son bec sur la page du livre ouvert et l’Ange -symbole de l’évangéliste Mathieu- agenouillé au premier plan pointant son doigt en direction de l’église romaine, geste soulignant le message d’accomplissement de la Loi[13]. Ces changements confèrent un plus grand dynamisme et apportent un côté grandiose à la composition.
Ce travail d’illustrateurs fut important dans le développement de sa manière de dessiner et influença certains de ses élèves, notamment Francesco Zugno (1709-1787)[14]. Alors que les dessins réalisés à la pierre noire suggèrent souvent les futurs traits du graveur, Tiepolo fit, comme pour notre dessin, quelques projets à la plume et lavis d’encre brune sur traits de crayon. C’est le cas de La Foi, l’Espérance et la Charité[15] (Fig. 6) qui fut gravé par Pietro Monaco en 1739 (Fig. 4). Cette manière éloignée du trait de graveur sera ensuite reprise par Antonio Balestra dans ses projets pour l’illustration des Poésie di Alessandro Guidi (1726) et Parasido Perduto de Milton (1757)[16].
[1] Par exemple, Jacopo Vallarsi et Pierantonio Berno pour la première édition de Verona illustrata de Scipione Maffei en 1732.
[2] Denis Ton, « Bizzarrie di pensieri : Giambattista Tiepolo e la sua cerchia », Tiepolo, Piazzetta, Novelli, l’incanto del libro illustrato nel Settecento Veneto, catalogue d’exposition, Padoue, Musei civivi agli Eremitano et Palazzo Zuckermann du 24 novembre 2012 au 7 avril 2013, Treviso, Crocetta del Montello, 2012, p. 60-63.
[3] Les rapports entre les frères Zucchi et Giambattista Tiepolo, mis en contact dès 1724 par l’écrivain Scipion Maffei, ont été développés et mis en lumière par A. Middeldorf Kosegarten (cf. « Giambattista Tiepolos Entwürfe für Illustrations der Rerum italicarum scriptores ediert von Ludovico Antonio Muratori, Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, 58,2007, p. 93-193.).
[4] Francesco Zucchi d’après Giambattista Tiepolo, Allégorie de la Paix et de la Justice rendant hommage au lion de Saint-Marc,frontispice du vol. XII de l’ouvrage rerum Italicarum Scriptores d’Antonio Muratori (Milan, 1723-1751) conservé au Columbia University Libraries, New York. Le Rerum Italicarum Scriptores est une compilation en vingt-cinq volumes de sources historiques italiennes dont la plupart datent du Moyen Âge. Le volume XII illustrait l’histoire vénitienne. Tiepolo a conçu le frontispice dans lequel des figures allégoriques de la Justice (avec une épée et une balance) et de la Paix (avec une branche de laurier) flanquent le lion de Saint-Marc, symbole de Venise.
[5] Plume, encre brune et lavis brun sur traits de pierre noire ; 33,5 x 21,4 cm ; Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-T-1954-189. Bernard Aikema date la feuille de 1724 d’un point de vue stylistique après l’avoir mise en relation avec la gravure de Francesco Zucchi (cf. Bernard Aikema, Tiepolo in Holland…, 1996, p. 14-15, cat 1).
[6] Metropolitan Museum, New York, inv. 59.600.203.
[7] Un exemplaire est conservé à la Biblioteca Civica di Padova, inv. n° F4498.
[8] Dans la marge inférieure, apparaît l’inscription suivante : Venetiis apud Christophorum Zane MDCCXXX et la signature F.co Zucchi. Un exemplaire est conservé à la Bibliothèque universitaire de Padoue, inv. n° 78.b.85. Cf. Tiepolo, Piazzetta, Novelli, l’incanto del libro illustrato nel Settecento Veneto, catalogue d’exposition, Padoue, Musei civivi agli Eremitano et Palazzo Zuckermann du 24 novembre 2012 au 7 avril 2013, Treviso, Crocetta del Montello, 2012, p. 76-77, n° I.4, repr.
[9] Biblia Sacra Vulgatae Editionis, Sixti V. Pontificis Max. Jussu Recognita, et Clementis VIII. Auctoritate edita; … Nec non Prolegomenis necessarioribus illustrata– .., Venetiis – apud Christophorum Zane,1730, 2 vol.
[10] D’après nos recherches, le premier exemplaire de cette gravure que nous ayons trouvé a été publié à Anvers par l’Officina Plantiniana en 1645.
[11] Pietro Zani recense plusieurs éditions de la Biblia Sacra illustrée par Sœur Isabella Piccini : en 1669, 1690, 1723 et 1727 (Cf. Enciclopedia metodica critico-ragionata delle belle arti dell’abate D. Pietro Zani Fidentino, Parte seconda, vol. II, Parma, 1819, p. 59-62). Nous avons choisi de rapprocher la gravure de l’édition de 1709 car elle se présente dans le même sens que le dessin de Giambattista Tiepolo.
[12] Fille du graveur vénitien Giacomo Piccini, Elisabetta (1644-1734) se forma à l’art du dessin et de la gravure des grands maîtres. En 1666, elle entre au couvent de Santa Croce à Venise et prend le nom de Suor Isabella. Elle continua de travailler en signant Suor Isabella Puccini comme graveuse acceptant de nombreuses commandes d’éditeurs vénitiens pour illustrer des livres liturgiques, des biographies de saints et des manuels de prières.
[13] Cf. Evangile de saint Matthieu (5, 17 : Ne pensez pas que je (Jésus) sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir ».
[14] Francesco Zugno aida son maître à réaliser plusieurs projets d’illustrations d’ouvrage.
[15] Pierre noire, lavis brun avec rehauts de gouache blanche ; 39,2 x 25,9 cm ; Princeton University Art Museum, Inv. n° x1948-770. Knox propose une datation de ce projet entre 1625 et 1632 (cf. George Knox, “A group of Tiepolo Drawings Owned and Engraved by Pietro Monaco”, Master Drawings, III, 1965, n° 4, p. 392, pl. 30).
[16] Le dessin est conservé à la Biblioteca palatina de Parme.