Giulio Clovio
Grisane, Croatie 1498 – Rome 1578
Tête idéale, profil de femme
Pierre noire, inscrit Don Giulio miniatore au verso.
272 x 212 mm – 10 3/4 x 8 3/8 in.
Giulio Clovio fut à son époque l’un des artistes les considérés et mena une vie riche en rencontres et péripéties. Elle nous est principalement rapportée par le célèbre biographe florentin Giorgio Vasari, qui nous apprend qu’après sa formation auprès de Girolamo dai Libri[1], le miniaturiste fut employé par les cardinaux Grimani, puis plus brièvement par le cardinal Campeggi. Il travailla ensuite chez Alexandre Farnèse, au grand dépit de Cosme Ier de Médicis qui n’eut de cesse d’essayer de se l’attacher, sans succès[2]. Basé principalement à Rome, dans le palais des Farnèse, Clovio voyagea en Hongrie, à Mantoue, à Venise et à Florence. Il fut très proche de Giorgio Vasari et de Francesco Salviati. C’est chez lui que le premier aurait eu l’idée de ses célèbres Vite d’artistes, tandis qu’au second il obtint la décoration de la chapelle du palais San Giorgio. Mais il fut aussi l’ami de Pieter Bruegel et de Dürer, deux artistes dont il possédait des œuvres. L’artiste et écrivain portugais Francisco de Hollanda, qu’il avait rencontré à Rome, lui accordait sans hésitation « la palme sur tous les enlumineurs d’Europe[3] ». On le sait lié aux artistes génois Luca Cambiaso et Giovanni Battista Castello. Enfin, il joua un rôle prédominant dans la carrière du jeune Greco qu’il recommanda aux Farnèse lors de sa venue à Rome en 1570. Pour le remercier, le jeune artiste réalisa son portrait, le représentant avec son œuvre la plus célèbre, le livre d’heure réalisé en 1546 pour le cardinal Farnèse, aujourd’hui conservé au musée national de Capodimonte à Naples.
Son œuvre porte les marques de cette vie riche en rencontres diverses : son style, participant de ce mouvement amplement diffusé qu’est la maniera, s’enrichit alternativement de toutes ces influences. Il est alors toujours essentiel, comme l’exprimait déjà Catherine Goguel en 1988, puis à nouveau devant ce dessin, d’observer une certaine prudence dans l’établissement d’un corpus graphique[4]. Il faut admettre que l’on connaît peu de feuilles exactement comparables à la nôtre sur le plan du style graphique. L’écriture est ici plus large que celle de la plupart des dessins qui lui sont donnés avec certitude, dans lesquels la manière est souvent plus moelleuse, la pierre noire comme fondue pour traiter les modelés. Cependant quelques feuilles certaines présentent le même réseau de fines hachures courbes et souples inspirées par le graphisme du Parmesan que l’on observe sur notre tête idéale. Parmi celles-ci, Le Christ mort soutenu par saint Jean et pleuré par les Saintes Femmes, conservé au Louvre (inv. 2819) ainsi que la Pieta du Victoria and Albert Museum de Londres (DYCE 218).
Par ailleurs, notre feuille peut être raisonnablement rapprochée du corpus de Clovio en vertu de plusieurs éléments d’importance. Tout d’abord l’inscription don Giulio miniatore écrite par une main ancienne évoque une familiarité certaine avec l’artiste. En effet, c’est ainsi que ses amis s’adressent à lui ou le désignent entre eux. Ainsi Don Miniato Pitti dans une lettre adressée à Giorgio Vasari du 11 novembre 1543[5] : « Dite a don Giulio miniatore che e’ vitupera la corte … » Ou encore des lettres de ses amis de l’Accademia dello Sdegno, le poète Molza[6] ou Trifone Benci qui mentionne « l’unico don Giulio miniatore[7] ».
Ensuite, par son sujet, cette tête idéale se rapproche des modèles du genre par Michel-Ange que Clovio, comme d’autres, copia et imita souvent. Mais par son style physique, elle s’inspire plutôt des vierges de Salviati, de Vasari et de celles, courbes et graciles, du Parmesan, trois artistes que l’on sait influents dans le parcours du miniaturiste. Son testament précise d’ailleurs qu’il possédait plusieurs dessins du Parmesan[8]. De plus, ce profil de femme est récurrent dans ses miniatures : parmi de nombreux exemples, on peut citer la Madeleine aux pieds du Christ dans la Lamentation de la National Gallery de Washington (2006.111.1) ou la femme assise sur la droite dans la Mort de Didon des Stanze di Eurialo d’Ascoli. Enfin, l’inventaire de Fulvio Orsini révèle que le bibliothécaire possédait deux têtes « di maniera» au lapis nero par Giulio Clovio – peut-être ses copies d’après les têtes idéales de Michelange – mais aussi d’autres portraits toujours au lapis nero, c’est-à-dire au graphite ou à la pierre noire fine, ce qui montre que le dessinateur en produisait régulièrement bien que l’on n’en connaisse pas. Ces dessins, considérés comme très précieux, étaient encadrés d’ébène ou de noyer.
Tous ces arguments permettent donc de proposer d’attribuer cette élégante feuille à Clovio.
Constat d’état – Monté en fausse marge. Bordures irégulières. Papier fin contrecollé sur un papier plus épais. Pliure verticale dans le coin supérieur droit. Réintégration de papier sur le bord gauche (100x 10mm), sur le bord inférieur près du centre (40x 10mm). Un petit point de réintégration en haut à droite et dans le coin supérieur gauche. Les reintegrations sont toutes en marge de la composition. Le dessin est parfaitement lisible.
[1] Cette précision apparaît dans la vie de Fra Giocondo, Giorgio Vasari, Vite de’ piu eccellenti pittori scultori ed architettori, Firenze, Sansoni editore, 1880, tome V, p. 330.
[2] Vasari, op. cit., tome VII, « Vita di Don Giulio Clovio miniatore », p. 557-569.
[3] Francesco de Holanda, Dialogues de Rome, 1548.
[4] Catherine Goguel, « Giulio Clovio, nouveau petit Michel-Ange. À propos des dessins du Louvre. », Revue de l’art, année 1988, vol. 80, n° 1, p. 37-47. Nous remercions Catherine Goguel pour son aide et soulignons que si elle n’écarte pas une attribution à Giulio Clovio, elle a tout de même exprimé la difficulté à en être certain.
[5] Publiée dans Kliemann, Giogio Vasari, Principi, letterati e artisti nelle carte di Giogio Vasari, Arezzo 1981, catalogue d’exposition, dans Catherine Goguel.
[6] Paul Oskar Kristteler, Iter italicum, Londres, The Warburg Institute, 1989, vol. 4, Allia II : lettre à la bibliothèque universitaire de Wroclaw, citée p. 438.
[7] Girolamo Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, Napoli, 1781, tome II, parte prima, p. 119.
[8] A. Bertolotti, Don Giulio Clovio, principe dei miniatori, Florence Kunsthistoriche, 1883, p. 261 et 266.