Allégorie de la Guerre et de la Paix par Antoon Sallaert

Antoon Sallaert
Bruxelles 1594 – 1650

Allégorie de la Guerre et de la Paix

Pierre noire, plume et encre brune, lavis brun et gouache sur trois feuilles de papier assemblées
482 x 815 mm (19 x 32 1/16 in.)


Originaire de Bruxelles, Antoon Sallaert fut peintre, graveur et dessinateur. Son apprentissage auprès de Michel de Bordeaux est documenté, notamment par sa nomination en qualité d’apprenti le 14 avril 1606 à la guilde des peintres de Bruxelles. Il y fut nommé maître le 20 août 1613 et enfin doyen à quatre reprises1 . Il inscrivit lui-même des élèves à la guilde, parmi lesquels son frère Melchior et son fils Jean. Peintre d’histoire, Sallaert travailla à plusieurs reprises pour la cour de l’archiduc Albert et de l’archiduchesse Isabella, bien qu’il n’ait jamais été nommé peintre de cour officiel. Il reçut également de nombreuses commandes des églises jésuites locales. Parmi les plus importantes, celle de 1647, passée par le clergé de Notre-Dame d’Alsemberg pour la réalisation d’une série de onze compositions sur l’histoire de l’église et de ses bienfaiteurs.
Artiste prolifique dans plusieurs domaines, il réalisa notamment pour la prospère industrie du textile, plus de vingt-sept projets de tenture, soit au moins cent vingt cartons de tapisserie, tandis que pour la gravure, il fournit plusieurs projets de frontispices et d’illustrations de livres, par exemple aux graveurs Cornelis Galle l’Ancien ou Christoffel Jegher, tous deux collaborateurs de Rubens.
Son propre œuvre gravé est modeste en nombre (environ vingt-trois pièces) mais très innovant puisqu’on lui doit la technique du monotype qu’il aurait expérimentée dès le début des années 1640, c’est-à-dire quelques années avant Giovanni Benedetto Castiglione qui en est traditionnellement considéré comme l’inventeur2 . Comme dans ses œuvres dessinées, Sallaert y associe une ligne souple, qui trace avec précision contours et zones d’ombre, à l’usage abondant de la réserve. Cette technique du monotype est donc très proche, par l’effet visuel mais aussi par le geste, de ses dessins et huiles sur papier. Comme dans ces derniers, il rehausse parfois ses monotypes à la gouache blanche afin d’en accentuer les effets lumineux. Cette façon de travailler met en évidence sa prédilection pour des techniques graphiques contrastées.

Les sources anciennes et particulièrement celles du XIXe siècle le présentent comme un élève, voire un collaborateur de Rubens3 . Il ne semble pourtant pas exister de preuve matérielle de la présence de Sallaert auprès de Rubens. En revanche, il est indéniable que le peintre bruxellois s’est fortement inspiré du maître anversois pour l’élaboration de son style pictural, notamment par son goût pour la technique de l’huile sur papier, et celle de la grisaille et de la « brunaille », selon le terme utilisé à son propos par Jacques Foucart4 . Cette influence peut aussi lui avoir été transmise de manière indirecte, par le biais de Gaspard de Crayer par exemple – peintre anversois installé à Bruxelles, maître à la guilde des peintres de cette ville en 1607, doyen en 1614 et grand propagateur de l’art de Rubens.

Ce dessin, spectaculaire par sa taille, son état et sa qualité, serait justement d’après une composition de Rubens, selon la lettre d’une gravure (Fig.1) de Remoldus Eynhoudts (1613-1680) conservée au British Museum qui en reprend la composition. Le sujet est allégorique : la Paix couronnée par la Victoire tient en respect avec son caducée la Furie de la Guerre, tandis que ses filles, l’Harmonie, la Justice et l’Abondance, se tiennent autour d’elle. Des putti ramassent les fruits qui tombent de la corne tenue par l’Abondance, tandis que Mercure, garant du commerce florissant, joue du luth, assis sur la gauche à l’arrière. Cette allégorie doit être interprétée dans le contexte de la guerre de Trente Ans et de la paix de Westphalie négociée en 1648.

Fig.1

La composition connut un succès considérable et réapparaît dans un certain nombre de versions, la plupart de qualité assez moyenne et bien moins spectaculaires que l’œuvre de Sallaert. Pour citer les plus importantes, notons une version attribuée à Pieter van Avont et Frans Wouters qui est au musée Crozatier du Puy-en-Velay, une autre attribuée à Guilliam Forchondt passée en vente avec son pendant sur le thème du bon gouvernement (Sotheby’s, Londres, le 10 juillet 2008) et une dernière comme cercle de Jan van den Hoecke (Christie’s, South Kensington, le 7 décembre 2012)5 . À l’issue de la guerre de Trente Ans et de la guerre de Quatre-Vingts Ans, la paix fut amplement célébrée et ce genre de composition certainement très recherché pour orner les bâtiments officiels ou les maisons des grandes familles.
Max Rooses, à propos d’un tableau de cette composition qu’il donne à Érasme Quellinus, évoque des « souvenirs d’œuvres rubéniennes6 ». À part la figure de l’Abondance, qui dérive de celle de la Vierge Marie dans le chef-d’œuvre du Musée royal des beaux-arts d’Anvers, les deux autres rapprochements qu’il établit à propos des esclaves et de Mercure ne constituent pas des emprunts. Si l’ambiance est rubénienne, il est tout aussi possible que la composition revienne en réalité à un artiste qui connaît et exploite les modèles du maître anversois sans pour autant appartenir directement à son atelier. Avec la version donnée à Guilliam Forchondt (qui a un pendant, une Allégorie du bon gouvernement, lot 141 ; toutes deux sont des huiles sur cuivre, 52 x 74 cm), celle de Sallaert appartient de loin aux plus naturelles et aux plus belles versions de cette composition. Elle s’insère avec naturel dans l’espace de la feuille : contrairement aux autres versions, Mercure, qui est assis à gauche, ne paraît pas trop serré sur le côté et, à ses pieds, l’artiste a représenté des bourses d’or et d’autres attributs qui n’apparaissent pas dans les autres versions. Les buissons en fleur derrière le dieu du commerce sont une autre de ses inventions. À l’autre extrémité de la composition, les prisonniers se tiennent devant un amas d’armes et d’oriflammes abondamment décrits. Le trait est fluide et large, les gestes sont naturels, les regards sont vivants. S’il s’agit d’une copie d’après Rubens ou quelque autre modèle, l’artiste n’en perd pas pour autant sa spontanéité et ne se prive pas d’ajouter les détails de son choix ou de réinventer des passages, avec ingéniosité et habileté. Peut-être Sallaert a -t-il eu le projet de transcrire cette composition pour la tapisserie.


  1. Alexandre Pinchart, « La corporation des peintres de Bruxelles », Messager des sciences historiques, ou Archive des arts et de la bibliographie de Belgique, vol. 1877, p. 289-331. ↩︎
  2. Todd D. Weyman, « Two Early Monotypes by Sallaert », Print Quarterly, vol. 12, n° 2 (juin 1995), p. 164-169. ↩︎
  3. Adolphe Siret, Dictionnaire historique des peintres de toutes les écoles depuis l’origine de la peinture jusqu’à nos jours […], Paris, Lacroix et Cie, 1874, p. 825. ↩︎
  4. Jacques Foucart, « Alexandre et Diogène, une grisaille d’Anthoni Sallarts », Bulletin des amis du Musée de Rennes, 4, 1980, p. 8-16. ↩︎
  5. Une liste non exhaustive des différentes versions peintes et dessinées est établie par Hans-Ulrich Beck dans « Netherlandish Drawings in the Städtische Kunstsammlungen, Augsburg », Master Drawings, volume 39, n° 4, 2001, p. 402-403. ↩︎
  6. Max Rooses, Rubens, sa vie et ses œuvres, Paris, Flammarion, 1903, n° 824. Selon lui, la Justice (il s’agit en réalité de l’Abondance) est empruntée à la figure de Marie dans L’Éducation de la Vierge (Anvers, Musée royal des beaux-arts), les captifs à ceux représentés dans les Funérailles de Decius (Vienne, palais Liechtenstein) et le Mercure à celui de L’Éducation de Marie de Médicis. ↩︎